Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/385

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sortir de quelque ruine grecque ou romaine, parfois très corrects dans leur redingote demi-séculaire ; ceux-là vivent de leur argent prêté à quinze ou vingt pour cent. Ces compères ont leur commères, vierges ou veuves antiques, détachées des liens de ce monde dont elles ne perçoivent que l’intérêt, jaunes, tannées, on les dirait même salées et fumées, dans un bon état de conservation pour l’autre monde. Ces tendres haridelles n’ont qu’un souci, savoir au juste de combien elles peuvent dépasser dans leurs prêts l’intérêt canonique, sans se précipiter dans les feux infernaux à côté de Belzébuth, dont elles ont horreur en sa qualité de démon masculin. Prêteurs des deux sexes sont les taupes qui habitent la ville en ruines et se font des trous dans sa poussière.

Mais vous frappez, comme nous le disions, à la porte des capitalistes. « Ah ! c’est vous, mon cher monsieur, enchanté de vous voir ; vous voulez de l’argent, n’est-ce pas ? bien, bonjour ; pas d’affaires. » Vous ferez ainsi le tour de la ville pour trouver deux mille dollars et vous ne les aurez pas, et ceux qui les refuseront se plaindront comme vous de la mesquinerie et de la léthargie des Québecquois. Ici, il n’y a que trois ou quatre genres d’affaires qui se maintiennent ; les gens à moyens n’osent sortir de la routine, de la seule et même chose à laquelle ils ont été habitués ; ils ne comprennent pas la solidarité des industries et ne voient pas que du succès de l’une dépend celui de l’autre. Le commerce est ignorant et puéril comme tout le reste : « Si ce que je fais réussit, pourquoi vous aiderais-je à faire autre chose ? faites comme moi. » Yoilà le langage que l’on tient en tout temps ; aussi toute l’activité