Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/387

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voilà la réponse invariable. Aussi, pour conserver le reste des travailleurs, va-t-il falloir élever à un niveau excessif le prix de la main-d’œuvre. Hé quoi ! que voulez-vous ? Après un hiver où il est tombé de dix à quinze pieds de neige en moyenne, voilà qu’il neige encore, aujourd’hui, le 28 avril ; il y a déjà deux pouces de cette manne sur le sol, les rafales soufflant du fleuve nous aveuglent, on reprend ses fourrures et ses mocassins ; c’est éternel. Et dire qu’à la fin de septembre on recommencera encore à geler, on reviendra de la campagne tout grelottant, et la neige retombera comme de plus belle à la fin de novembre pour ne pas cesser pendant six mois ! Ô mon Dieu ! est-il donc vrai que, dans votre justice infinie, vous ayez voulu que les Canadiens expiassent les péchés du reste des hommes !


11 Juin.

La mort, l’horrible mort frappe, abat, fauche, moissonne de tous côtés ; on a beau prier l’odieuse invisible, plus elle frappe, plus elle se bouche les oreilles et nous laisse prier. Il semble qu’il y ait comme un crêpe constamment suspendu sur la pauvre vieille capitale ; nombreux sont les foyers en deuil, nombreux sont les cœurs attristés. On meurt, on meurt partout, à chaque porte ; les églises frémissent du chant des liberas, les cortèges funèbres défilent à toute heure et les vivants ne semblent avoir plus d’autre office à remplir que de reconduire à la tombe leurs amis disparus.

Ce matin, on enterrait ce cher et regretté Dessane, un artiste éminent qui, depuis vingt années qu’il est