Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/404

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fées fraîches et tièdes à la fois qui succèdent à la pluie. Nos gosiers sont secs comme des mâchoires de fossiles ; ils ont avalé, pendant deux semaines tropicales, la poussière des métropoles et des exhalaisons de cours qui font rêver au défunt Augias, l’inventeur du choléra et le patron de toutes les commissions de voirie ; nous avons la langue roide et dure comme l’oreille d’un juge de la cour d’appel ; il nous faut la rosée, l’air qui enfle et réjouit les poumons, la grande paresse, des allongements infinis de tibias, des ronflements sonores sous l’ombre des épinettes ou des trembles, et des bourdonnements, des gazouillements, des frémissements et des tremblements de nom d’un nom dans tous les alentours et les autours.

Voilà ce que c’est que la nature.

Mon cher directeur, savez-vous que la moitié des campagnes s’en va chez le diable ? Dans le mois dernier on a compté cent quatorze familles qui sont parties de trois paroisses du seul comté de Kamouraska pour se rendre aux États-Unis. La propriété diminue, diminue constamment de valeur ; ceux qui ont des terres ruineuses sont obligés de les garder, ne pouvant pas les vendre, et ils s’endettent jusqu’à ce que, pour un misérable petit compte, ils en soient chassés. L’habitant est prêt à accuser qui que ce soit et quoi que ce soit de ses maux, il s’en prend à tout ; son for intérieur est en ébullition. Joignez à cela qu’il a les bras liés, qu’il est comme cloué à la terre qui le ronge, qu’il ne peut rien faire pendant sept mois de l’année et qu’il