Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/405

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lui faut vivre avec la perspective de jour en jour grossissante de sa ruine et de sa misère finissant par son départ pour l’étranger. Quelle condition, quelle fatalité ! Sans doute, pour nous consoler, on nous dira que nous sommes jeunes, que nous avons l’avenir, que nous jouissons du meilleur des gouvernements politiques, toutes phrases stéréotypées qui se débitent depuis un temps immémorial.

À force d’être jeunes, d’avoir de l’avenir, des ressources, des mines et des libertés à ne savoir qu’en faire, nous croupissons, nous devenons rassis, rances, nous usons nos pantalons à nous asseoir sur tant de sacs d’écus sans pouvoir y toucher, et tout cela finit par aller dépenser ce qui nous reste de « jeunesse » dans les États de l’Ouest ou dans les manufactures de la Nouvelle-Angleterre. J’entends de vieux habitants me dire que le gouvernement ferait bien mieux de payer les votes moins cher et de protéger davantage les industries naissantes.

Bonnes gens ! ils ignorent que les gouvernements que nous avons, depuis dix ans surtout, n’ont pas pour objet le progrès ou la prospérité de la population, mais bien uniquement de resserrer, de visser de plus en plus la dépendance et de nous rendre à tout jamais incapables de rien par nous-mêmes, paralytiques avant d’avoir seulement déployé nos bras. Nous réduire graduellement à l’état de fœtus, puis nous mettre en bocal, voilà la pensée constante de tous les sirs qui se succèdent comme chèfres et de tous les imbéciles qui les suivent.

Ô mon peuple ! meurs donc plutôt que de dépérir sans honneur et sans inspirer d’intérêt, crève tout de