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Pour « l’Opinion Publique »


Cacouna, 16 juillet, 1871.

Il pleut et il tonne, il pleuvra et il tonnera demain, il a plu et il a tonné hier, voilà le bilan de la saison. Comment s’étonner après cela que les gens viennent peu aux eaux cette année ? Ils ont de l’eau tous les jours tant qu’ils en veulent, l’eau du ciel, intarissable, diluvienne, qui vous surprend à toute heure et vous accable de ses bienfaits. La terre en est saturée et les bons habitants qui, il y a un mois, imploraient à genoux le dieu des orages, se relèvent épouvantés de la générosité divine. Dans le grand hôtel de Cacouna, deux cents chambres, retenues depuis le 13 juillet, sont encore veuves ; le propriétaire, joyeux, plein d’espoir tous les matins, s’assombrit vers le soir comme le ciel ; il attend et ne voit rien venir que son coach vide de sa course quotidienne au bateau-à-vapeur et au chemin de fer. Cependant toutes les maisons privées et les jolis cottages de Cacouna sont pleins, pleins de familles qui restent chez elles tout le jour et qui, le soir, s’échappent par torrents sur les trottoirs ; ce sont surtout les femmes : place aux blondes filles d’Albion. Les jeunes gens, et ils ne sont guère nombreux, sont obligés de marcher dans le chemin poudreux, sans autre distraction que d’ôter leur chapeau à chaque instant et de se rompre l’échine dans cette gymnastique gracieuse.

C’est la mode de s’ennuyer à Cacouna ; aussi tout le monde y court. Entendons-nous ; tout le monde ici, ce sont les Anglais, peuple né pour la contrainte.