Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/432

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pluie ; moi seul, bien vivant, bien éveillé, mesurant des yeux le vaste plateau qui se déroulait comme à l’infini devant nous, je songeais à tout le mal que peuvent faire les mauvais gouvernements, et combien dix ans de charlatanisme peuvent aplatir un peuple !

Çà et là les maisons apparaissaient comme des jalons antiques qu’aurait plantés une race disparue ; parfois nous faisions jusqu’à deux milles sans en voir une ; d’autres fois elles se suivaient à quelques arpents de distance pendant dix ou quinze minutes ; puis, la forêt, les bruyères et les chaînons montagneux reprenaient l’empire du sol ; enfin, après quatre heures d’une marche précipitée, comme les dernières couches de la nuit commençaient à se disperser sous le petit jour naissant, nous vîmes poindre le clocher d’Hébertville comme une aiguille argentée trouant les nuages.

Hébertville est une paroisse de trois à quatre mille âmes, la plus grande, la plus florissante de la région du Saguenay ; elle est tout entière sur des vallons et des coteaux, et semble onduler sous le regard. Partout, à droite, à gauche, devant, derrière, surgissent de petits lacs, remplis de truites, qui noient la base des collines et se plongent dans la terre à des profondeurs souvent prodigieuses ; ces petits lacs donnent naissance à une foule de cours d’eau qui fuient dans toutes les directions et se creusent les lits les plus capricieux ; souvent aussi ils disparaissent tout à coup, et on les retrouve un mille plus loin, débouchant au détour d’un mamelon ou rasant le fond de quelque précipice.