Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/446

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d’une foule de choses, surtout le dimanche. Oui, en effet, il ne peut y avoir que des abstinenciers pour faire du dimanche ce qu’il est dans la plupart des villes anglaises et américaines.

La défense de boire le dimanche n’est qu’un premier pas ; on dirait justement que ce n’est qu’un prétexte pour arriver plus sûrement à l’interdiction de tout le reste. En effet, dès qu’un homme fait le sacrifice d’une habitude ou d’un goût, pendant vingt-quatre heures de la semaine, il peut bien en faire d’autres. C’est ainsi que se développe cette succession vraiment merveilleuse de suppressions et d’interdictions qui, si elles continuent, feront du dimanche un jour abhorré et en rendront une nouvelle définition nécessaire ; on dira : « Le dimanche est un jour où l’homme est privé de tous ses droits. »

Il y a bon nombre de villes américaines qui, grâce aux abstinenciers, sont devenues absolument ridicules, tout à fait inhabitables le jour du Seigneur. Les nôtres ne tarderont pas à l’être également ; elles ont déjà bien commencé. Voyez par exemple Ottawa ; il n’y est même plus permis de se promener le jour où l’on n’a rien à faire, et les cochers sont tenus, de par injonction municipale, de laisser leurs stations désertes.

Oh ! les conseils de ville ! Quelle bonne pâte, quels instruments excellents de teetotalisme ! Il est impossible que le nôtre échappe longtemps à la tentation de nous encarcaner, de nous museler et de nous presser comme des bottes de foin le dimanche, afin de pouvoir répondre de notre salut éternel, dont on le convaincra