Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/448

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rien, rien que les hôtels, et ce seul refuge, ce dernier centre de réunion nous a été enlevé à l’heure même où chacun, las de la promenade, énervé par la chaleur, sent le besoin d’un entretien agréable à côté d’un bon verre qui appelle le sommeil et asseoit le système nerveux pour la nuit !

Pauvres hôteliers qui paient de lourdes, de très lourdes taxes, et qui mangent l’hiver ce qu’ils gagnent l’été, nous les plaignons ! Avant longtemps, sans doute, Québec n’aura rien à envier aux lugubres et funèbres villes de la Nouvelle-Angleterre qui, le dimanche, sont comme autant de tombeaux refermés sur des êtres vivants. Est-ce là l’idéal qu’ont cherché nos conseillers de ville et n’auraient-ils fait que remettre à plus tard de marcher jusqu’au bout sur les traces des puritains ? Car il faut bien qu’on le sache ; sur cette pente comme sur celle de la fausse dévotion, il est difficile de savoir où s’arrêter. La vertu extérieure a des exigences incontentables ; on commence par prohiber la vente des boissons, et l’on arrive aux magnifiques résultats que tout le monde connaît, la loi éludée, bafouée, l’hypocrisie encouragée et l’amour funeste de l’alcool se déguisant sous mille formes pour se satisfaire davantage. Puis, on fait disparaître les tramways, comme il en a été question sérieusement à Montréal, ville de haute moralité, puis les voitures de louage, comme cela se pratique dans bien des villes américaines, puis, l’exercice du piano, cet instrument si indécent que, dans plusieurs cités de la Nouvelle-Angleterre, on le recouvre d’une vaste tunique et on lui enveloppe soi-