Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/66

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fouilli de caps, de ravins, de petites baies qui ont l’air de vous sourire avec bonhomie. Tout y est calme et doux, et l’on sent comme une espèce de repos se glisser dans l’esprit et le cœur.

Il n’y a pas plus de trente à quarante maisons dans ce village qui n’est plus celui des gens de l’endroit, mais des étrangers qui y ont bâti leurs cottages. Cela a quinze arpents de longueur tout au plus en ligne droite. En tournant le chemin, vous arrivez, après quelques pas à peine, au grand hôtel qui s’étale glorieusement au-dessus d’une baie d’un contour harmonieux et irréprochable. Pas de plus bel endroit pour les bains ; une rive discrète, un sable fin, une eau pure, mais glaciale.

L’onde est trompeuse comme la femme ; c’est pour cela qu’elle attire. Séduit par la limpidité attrayante de ces flots qui venaient mourir si amoureusement sur le sable, et brûlant de me reposer de deux jours de voyage fatigant, je me déshabillai à la hâte et me précipitai comme je l’aurais fait dans un bain public de Montréal. Juste ciel ! Dieux vengeurs ! Je revins à la surface de l’eau comme un homme qui a le tétanos, le corps en deux, les pieds dans les oreilles. Et quelle tête ! comme l’échine d’un porc-épic. J’étais tout horripilé ; l’estomac me rentrait dans le dos et les muscles de mon visage dansaient la gigue. Une, deux ; je me dilatai et je poussai des bras pour regagner la rive ; mais j’avais une vingtaine de crampes dans les jambes. Ô ma patrie ! quel danger tu courus ce jour-là ! Pourtant, par un violent effort et me secouant comme un chêne sous l’orage, je parvins à terre. Il était temps. « Fontaine, je ne boirai plus de ton eau, » ce qui veut