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VOYAGES.

pénible peut-être en chemin de fer, mais vous y trouverez tout le confort possible ; les dames vous feront oublier la fatigue de la route, et puis vous ferez aisément des connaissances ; vous ferez même des amis qui seront peut-être les meilleurs et les plus vrais de tous ceux que vous aurez eus… » Hélas ! les amis ne se font plus lorsqu’on a perdu foi dans toutes les affections et que les nouvelles offrent tant de périls qu’on les redoute plutôt qu’on ne les recherche ; on ne se sent pas d’attrait à lier connaissance avec des gens qui n’ont ni votre éducation, ni vos habitudes, pour qui tout ce que vous aimez est étranger ou puéril, dont l’objet unique de la vie est la recherche de la fortune et qui consacrent à ce soin vulgaire toute l’activité de leur esprit ; on se tient loin d’eux avec un pudique dédain plutôt qu’on ne s’en approche, tant la pensée intime a quelque chose de sacré qu’on n’aime pas à ternir par de futiles liaisons.

Je n’ai pas vu un seul Français pendant les six jours que j’ai passés en chemin de fer, depuis Chicago jusqu’à la Californie. Peut-être était-ce un voyage exceptionnel ; à cela je reconnaîtrais un des traits de la fatalité qui me poursuit jusque dans les moindres circonstances.

Je n’ai pas trouvé, non, ni parmi les hommes ni parmi les femmes qui m’ont accompagné pendant toute une semaine, une seule personne dont la conversation m’offrît un intérêt de cinq minutes. J’ai en vain cherché parmi ces dernières une figure assez attrayante pour faire oublier quelques instants la disposition malheureuse de mon esprit, mais il y avait sur ma pensée je ne sais quel voile qui me dérobait la vue de tout ce qui aurait pu la distraire ou la charmer.