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VOYAGES

Le lendemain matin, à six heures, je prenais le ferry, je traversais à Oakland, et à sept heures, je montais de nouveau dans le « Central Pacific, » qui, cette fois, me ramenait dans mon cher vieux Canada qu’il me semblait avoir quitté depuis déjà longtemps.

Je fis les premières cent lieues sans presque m’apercevoir que j’étais parti ; j’avais en dedans de moi des ailes qui m’emportaient bien plus vite que la vapeur. Je traversai comme une flèche les beaux champs de la Californie en leur donnant à peine un regard ; je revis les Sierras-Nevada et je n’eus pas une émotion ; je me serais trouvé n’importe où avec la même indifférence, la même inconscience de ce qui m’entourait ; je ne pouvais regarder que devant moi, à huit jours de distance, la patrie qui semblait m’attendre ; tout le reste ne me paraissait qu’un mirage.

J’avais dû cette fois faire des provisions d’avance et j’avais mis dans une petite malle à la main du fromage, du saucisson, un morceau de langue, un pain et une bouteille de cognac. Cela devait me suffire jusqu’à Cheyenne. En ai-je mangé de ce ratafias ! Le deuxième jour j’en étais déjà malade ; il me semblait que je tournais rapidement en boudin, et que je ne verrais plus le Canada que sous la forme d’une tourtière. Mais je tins bon. Cependant ce n’était pas amusant que ces repas faits dans le coin le plus obscur que je pouvais trouver, à la dérobée, car j’étais réellement honteux, et comme j’avais oublié de m’acheter une fourchette et un couteau, j’étais obligé de mordre à