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VOYAGES

Et je racontai mon histoire, j’expliquai à peu près ma situation.

Déjà bon nombre de passagers avaient appris ce qui m’était arrivé ; mais quand ils surent qu’il avait fallu si peu de chose pour me dépouiller complètement, ils commencèrent, du moins pour quelques-uns d’entre-eux, à me regarder d’un air de défiance. Je vis bien qu’ils me soupçonnaient vaguement d’être de connivence, peut-être, avec les bandits qui m’avaient pillé, et que toute cette affaire, petite en apparence, n’était qu’une comédie montée pour faire quelques victimes dans le train. « Est-ce qu’il va nous emprunter de l’argent ? avaient-ils l’air de penser. Il faut se défier de tout et de tous dans un pays pareil. Ces brigands de l’Ouest ont toutes les manières possibles de prendre les gens, et celui-ci en est peut-être un, plus habile que les autres, qui fait semblant d’être dépouillé afin qu’on vienne à son secours… etc… » Tels étaient les soupçons, je le sentais presque avec certitude, qui s’agitaient sur la figure de certains de mes compagnons de voyage ; et cette pensée de la réprobation et de la défiance outrageante s’ajoutant à tant de maux déjà subis et à craindre, fut pour moi bien plus cruelle, bien plus douloureuse que la perte même que j’avais essuyée.

On peut supporter le malheur, on ne supporte pas le mépris. Le premier n’est après tout qu’un accident du sort ; le second est toujours une humiliation, qu’il soit ou