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VOYAGES

Mais maintenant, revenu dans la patrie, tout étonné de sentir encore en moi la vie et l’espérance, je ne tardai pas à mesurer les résultats futurs et la portée d’une épreuve que, pendant deux mois, j’avais regardée comme mortelle. Je crus découvrir en moi un autre homme, sorti du creuset du malheur, avec une faculté nouvelle, la seule qui pût désormais bien gouverner ma vie, et dont le défaut avait causé tous mes malheurs jusqu’alors. Je me demandai si cette succession précipitée, brutale, d’événements tous tournés contre moi, et agissant comme avec une intelligence féroce jusque dans les plus petits détails, était bien simplement une fatalité, s’il ne fallait pas remonter à une loi plus haute, loi d’une volonté inflexible, pour qui tout est préconçu et déterminé d’avance. Je me demandai si c’était bien un sort aveugle et inconscient, celui qui s’était acharné sur moi avec cette suite et cette précision implacables, et pour la première fois, impuissant révolté, toujours vaincu, j’entendis les accents de la grande voix intérieure, de la conscience, et je compris cette fatalité divine qui s’appelle l’expiation, aussi nécessaire, aussi juste qu’elle est universelle, et à laquelle on croit en vain pouvoir faire exception. Je courbai mon front devant Dieu en le sentant inexorable et je reconnus l’immensité de sa miséricorde dans cette torture salutaire qui, au lieu de me rendre méchant, m’avait éclairé et soumis ; je reconnus surtout que si je ne pouvais encore espérer le bonheur, qui ne vient qu’après l’expiation, du moins j’avais déjà la résignation qui est le commencement de la force.