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VOYAGES.

un désespoir si grand s’étaient emparés de moi, que je n’avais plus voulu continuer. Mais à peine étais-je de retour, que je prenais la résolution, inébranlable cette fois, d’aller tout d’un trait jusqu’à San Francisco, et, en effet, le lendemain matin, je repartais. Oh ! mes amis, vous qui avez mené une vie à peu près toujours égale, vous ne connaissez pas ces terribles péripéties du sacrifice, vous ne connaissez pas les va-et-vient déchirants de l’âme, les féroces exigences d’une condition qu’on s’est faite soi-même, et les ballottements douloureux d’un cœur laissé dans le vide.

Ce voyage inutile à Toronto m’avait coûté trente dollars, et je n’en avais que trois cents en tout et partout pour me rendre à San Francisco, et, là, attendre la destinée. Je repartis donc avec deux cent soixante-dix dollars, le voyage, au bas mot, tous frais compris, devait m’en coûter cent quatre-vingt. Mais, que m’importait la valeur de ces chiffres ? Je songeais bien à cela ! Tout en moi était brisé ; je cherchais un coin de terre inconnu, lointain, où jeter mon reste de vie. Depuis près d’un mois, je n’avais pu trouver deux nuits de sommeil ; une maladie obsessante, déclarée par les médecins fatale, me poursuivait de ses ombres lugubres ; deux fois le suicide m’était apparu avec tout son cortège de séductions infernales ; oui, deux fois, je m’étais laissé aller avec ravissement à cet attrait du repos éternel qui serait une tentation irrésistible si le néant n’était pas un outrage à l’intelligence comme au cœur de l’homme ; je n’aimais plus rien, je ne désirais plus rien et je ne cherchais plus rien, si ce n’est de m’effacer, laissant à la mort de faire son œuvre quand bon lui semblerait. — Eh bien ! maintenant que je suis revenu, que j’ai accom-