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VOYAGES.

les mêmes petites taches d’herbe sèche, roide, dévorée par le soleil, semblables à ces flocons d’écume salie qui flottent après l’orage sur la mer calmée ; on regarde, on regarde encore ; en vain l’on voudrait fermer les yeux, on est pris par le vertige de l’espace, et, même lorsque la nuit a descendu ses longs voiles du haut du ciel muet, il plane encore sur ces plaines sans bornes une sorte de clarté dure, semblable aux lueurs qui sortent des sépulcres, et l’œil continue d’en interroger encore les mornes profondeurs.

Aucun écho ne retentit jamais dans ces sourdes étendues livrées à l’éternel sommeil ; le sifflet de la locomotive ne rend qu’un son mât, aussitôt disparu que jeté dans l’air, et le bruit furieux du train roule sur un sol muet qui le reçoit sans y répondre. L’antilope frappe en vain de son pied léger, dans sa course gracieuse et rapide, cette terre inanimée, il ne fait que soulever un peu de poussière qui se confond aussitôt avec les souffles éphémères que sa course seule agite. Le chien de prairie, semblable à l’écureuil, debout sur sa petite meule de sable, dont le relief parsème seul l’aride et interminable plaine, regarde d’un œil qui n’est plus stupéfait cette tempête de bruit et de feu qui nous emporte ; lui aussi participe à l’immobilité de la nature où il a cherché un asile ; un vent affaibli fait seul parfois rouler un petit tourbillon de sable autour du trou qu’il habite, mais ce tourbillon ne dure qu’un instant et il s’affaisse comme une fumée qu’absorbe la flamme. D’autres fois, c’est un marais isolé qui se trouve dans ce désert on ne sait par quel oubli ou quel caprice de la nature ; la vue, même de cette eau croupissante, soulage déjà le regard et l’on peut voir de temps à autre quelque héron solitaire s’élever avec effort des bords de ce marais où de-