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V.


Mais revenons au chemin de fer du Pacifique. Grande entreprise, oui, certes ! et, comme tout ce qui est grand, d’un enfantement difficile. Mais le difficile est relatif aux États-Unis. Pour le peuple américain, qui vole plutôt qu’il ne marche, pour qui concevoir et exécuter sont presque un même acte, les délais ne se mesurent par à leur durée, mais à l’impatience de les subir, et les obstacles sont moins par le nombre que par l’intensité d’étonnement et d’irritation qu’ils produisent. Trois ou quatre années de retard, lorsqu’il s’agit de construire une voie ferrée de mille lieues, ce n’est rien, et cependant, cela paraissait énorme aux esprits actifs qui ont les secrets de l’avenir et qui dépassent leur temps.

On ne se douterait pas évidemment que c’est une raison militaire et politique qui a déterminé la construction du Pacifique américain, après bien des démarches et des tentatives infructueuses. Cette grande route avait cela de commun avec notre Intercolonial, dont la principale destination était de nous préserver des américains, et qui a été fait pour cet objet si solidement qu’au besoin ses ponts et ses remblais peuvent servir de remparts contre les attaques de toutes les armées des États-Unis. Avec un chemin de fer pareil, il n’est pas besoin de soldats ; on fait des terrassements, on pose des rails, et le Canada est invulnérable. Mettez cent mille hommes contre l’Intercolonial, et, en le voyant, ils seront convaincus de leur impuissance. Les initiateurs du Transcontinental américain avaient des vues presque aussi pro-