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VOYAGES.

flexions et de considérations avec lesquelles l’homme policé accompagne le plus petit service rendu. D’autre part, si l’on a quelque raison de se défier de vous, vous ne pouvez faire un pas sans rencontrer une difficulté ; en affaires surtout, on sera d’une rigueur et d’une exigence féroces ; il vous faudra justifier des moindres détails, des moindres lacunes. Que voulez-vous ? L’Ouest est un pays où l’on ne fait pour ainsi dire que passer, où les hommes sont nouveaux tous les jours, où chacun s’est fait soi-même, sans antécédents, sans liaisons, et où l’étranger, s’il prête le moins du monde au doute, ne peut être considéré que comme un aventurier de plus dans la patrie même des aventuriers. Si vous n’avez pas d’argent, et que vous vouliez faire un travail quelconque, on vous facilitera la voie ; mais, n’avoir pas d’argent et vouloir conserver un certain orgueil qui résiste à la nécessité, c’est ce qu’on ne comprend pas. En un mot, l’homme de ces régions, qui sont encore en grande partie des étendues désertes, parsemées çà et là de villages et de petites villes, est avant tout l’homme de la nature ; il en a toute la rudesse, toute la bonté et en même temps toute la sauvagerie ; pour lui, c’est le fait ; l’apparence n’est rien, pas plus que la forme et les manières ; il faut justifier de tout à ses yeux, à moins d’avoir de l’argent, qui est la première des justifications ; si ce dieu vous accompagne, on ne vous demande compte de rien et vous êtes un gentleman.