Tout le paysage, depuis le rapide des Quinze, n’a fait que glisser comme un rêve sous les yeux, et le voyageur se trouve déposé sur une petite pointe de rochers granitiques qui s’avance d’une centaine de pieds tout au plus dans le lac, et, devant lui, flotte et se déploie au loin un orbe de forêts et de coteaux aux nuances mobiles, vaste panorama d’une grâce de contour exquise et d’une majestueuse harmonie.
C’est ici la fameuse Pointe Piché, fameuse parmi les chasseurs et les Indiens, à cause de l’homme qui lui a donné son nom, le père Piché, type le plus parfait de ces traiteurs d’autrefois qui s’aventuraient seuls jusqu’aux dernières limites habitables du nord, et y vivaient seuls, des années entières, sans communion possible avec leurs semblables et n’ayant de rapports, deux fois l’an, qu’avec les Indiens en route pour les différents pays de chasse, ou à leur retour, aux premiers jours du printemps.
Mais le père Piché, lui, n’était pas seul, contrairement à l’antique usage. Il avait une femme pour remplir les longues et accablantes heures de la solitude. Petit à petit les enfants, augmentant en nombre et grandissant tour à tour, avaient formé une famille qui était tout un petit monde dans le désert. L’ancienne chaumière, qui n’avait été d’abord qu’un abri contre les rigueurs des saisons, s’était transformée insensiblement en une demeure de campagne sem-