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féroces. De la terre imbibée de sang éclataient sous les pas des soldats victorieux des cris de vengeance et de malédiction ; pas un buisson, pas un taillis où ne passât le souffle des esprits errants de milliers de victimes ; sur un espace grand comme le tiers de l’Europe, vingt à trente mille hommes trouvaient le moyen de se traquer, de s’entre-détruire avec orgueil au nom de leur patrie respective, et ce sol vierge, demeure grandiose d’une nature épanouie dans toute sa noblesse et dans toute sa force, resplendissant modèle des harmonies réunies de la création, ce sol, si riche des prodigalités du ciel, ne lui envoyait en échange que des concerts d’imprécations, des cris étouffés dans la mort, et l’écho partout répété du bruit des canons qui tuaient les hommes.

Non, non, Dieu n’avait pas fait le nouveau monde, cette terre de l’affranchissement, terre traditionnelle du refuge contre tous les genres de persécution et d’oppression, pour le laisser envahir par les passions, par les rivalités et les folies cruelles qui désolaient l’ancien continent. L’heure de la crise décisive était marquée et le jour fatal approchait. Qui peut, en parcourant la sombre liste des martyrs, la douloureuse histoire de la guerre coloniale, avec ses horreurs renouvelées sur tous les points, avec ses tueries insatiables que rachetaient à peine l’héroïsme multiplié de notre race et des actions d’éclat qui font l’étonnement, presque la stupeur des historiens, qui peut échapper à un regret poignant, refouler en soi des larmes amères ? Il n’y avait donc pas une terre au monde, même au sein de ces vastes et généreuses retraites, où deux peuples héroïques, comme les français et les anglais, pussent vivre en paix l’un à côté de l’autre ? Toutes les mers et tous les rivages étaient teints de leur sang l’un par l’autre versé ; une ambition insatiable les faisait se rencontrer jusqu’aux extrémités du monde et se combattre partout où la trace