Tel colon qui, à l’heure actuelle, vit dans l’aisance sur une terre en plein rapport, a mangé de la galette de sarrasin pendant plusieurs années, et peiné comme une bête de somme dans des sillons ingrats, sur des lots de terre inaccessibles à tout secours humain.
Il n’y a pas plus de vingt ans, tout le pays compris entre Sainte-Agathe, à vingt lieues au nord de Montréal, et la « Chute-aux-Iroquois », que l’on appelle aujourd’hui « village Labelle », n’était qu’une forêt épaisse ; même avant la construction du chemin de fer et la création des paroisses de Saint-Faustin et de Saint-Jovite, qui relient actuellement Sainte-Agathe à Labelle, on ne pouvait se rendre à ce dernier endroit, petit groupe d’habitations chétives élevé sur la rivière Rouge, que par un chemin horrible, praticable seulement dans les plus beaux jours, dérobé, la plupart du temps, sous les souches d’arbres laissées sur place, les rochers à fleur de terre et les ornières profondes d’où l’on n’arrivait pas toujours à tirer les grossiers véhicules qui s’y aventuraient. C’était la seule route offerte aux colons ; elle n’était pas même ouverte, elle avait été simplement tracée, avec quelques abattis d’arbres pour en indiquer le passage. Parfois la voiture qui portait la malle à la Chute-aux-Iroquois, une fois par semaine, y restait engloutie ; alors, il fallait aller la chercher à cheval, et si le cheval lui-même ne passait pas, on restait privé de la malle. Cela durait jusqu’à dix à douze jours de suite, suivant les temps et les saisons.