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comprenant que tout son prestige s’effacerait si le Canada, uni à la république américaine, avait des écoles libres où l’instruction religieuse fût formellement interdite, a fait depuis quatre-vingt dix ans aux États-Unis une guerre de calomnies et d’injures qui, heureusement, sont si ridicules qu’elles perdent le plus souvent de leur portée.

Plus tard, lorsque le monde retentit de révolutions, que la France souffla à l’oreille de tous les peuples ses principes humanitaires, que les colonies espagnoles se soulevèrent contre un joug ténébreux, les Canadiens seuls, entretenus dans l’ignorance, reçurent à peine un écho de toutes ces grandes choses. Les philosophes qui ont atfranchi l’humanité n’avaient pas même de nom chez eux ; le livre, cette puissance du siècle, était proscrit ; chaque message des gouverneurs, chaque mandement des évêques retentissait d’imprécations contre le peuple français qu’on appelait l’ennemi de la civilisation, parce qu’il conviait les peuples à briser leurs fers sur les trônes des rois.

En 1838, ce même clergé, ennemi traditionnel de tout affranchissement, anathématisa les patriotes déjà voués au gibet. Depuis, il a écrasé le parti libéral qui, en 1854, tenta de soulever contre lui la conscience publique ; il a étouffé toute manifestation libre de la pensée, non seulement dans le domaine de la philosophie, mais encore dans les choses les plus ordinaires de la vie.

Vint enfin 1866 qui trouva les Canadiens français tout à fait ignorants de l’immense changement politique qui allait s’accomplir dans l’Amérique anglaise, qui les trouva incapables de se former une opinion à ce sujet.

C’est là le résultat de l’obscurantisme érigé en système, depuis l’origine de la colonie.

Pour n’avoir appris que cette phrase sacramentelle mille fois répétée, cet adage traditionnel inscrit partout « Les institutions, la religion, les lois de nos pères », pour n’avoir voulu vivre que de notre passé, nous y sommes restés enfouis, aveugles sur le présent, inconscients de l’avenir.

Les collèges vont être obligés de bannir Bossuet lui-même du petit nombre d’auteurs qu’ils laissaient aux mains de leurs élèves.

J’ai beaucoup lu Bossuet, il est un de mes auteurs favoris ; aussi me vois-je aujourd’hui en mesure de répondre à ceux qui m’accusent d’exagération, parce qu’ils ne connaissent rien, et de violence de langage, parce qu’ils ne savent pas que le langage de la vérité n’admet pas de compromis : Que voulez-vous ? c’est de Bossuet lui-même que j’ai appris cette exagération et cette violence ; on a eu tort de me le mettre entre les mains au collège. Qui eût dit en effet que Bossuet écrivait, il y a deux cents ans, ce que j’écris aujourd’hui, avec cette