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Je reçois la lettre suivante :

M. le Rédacteur — Votre Lanterne est bien évidemment un mauvais journal ; les prêtres et tous leurs journaux le disent trop pour me laisser l’ombre d’un doute à ce sujet. Je me suis donc jusqu’à ce jour religieusement abstenu de la lire, malgré la tentation. Mais voilà qu’en lisant dernièrement les « Mémoires d’Outre Tombe » de Chateaubriand, grand défenseur quand même de l’Église, je trouve qu’à Rome, au moyen d’une dispense, on peut lire les plus mauvais livres, en sûreté de conscience, et cela pour quelques sous. Alors je me suis dit : « Si cela est permis à Rome pour de l’argent, pourquoi ne le serait-ce pas, à Montréal, aux mêmes conditions ? Le seul embarras que j’éprouve est de savoir à qui m’adresser pour avoir cette dispense. Sera-ce à l’évêque, au supérieur des Jésuites ou à mon curé ? Vous m’éclairerez, sans doute à ce sujet, vous qui possédez beaucoup des secrets du corps, à ce que l’on dit. Si vous ne pouvez le faire, vos amis du « Nouveau-Monde » se feront sans doute un plaisir et peut-être un devoir de me rendre ce service. Je n’ignore pas pourtant qu’il y a beaucoup de gens qui prétendent, et avec beaucoup d’apparence de raison, que, s’il n’y a pas de mal à faire une chose, quand on a donné de l’argent aux prêtres pour la faire, il n’y a pas davantage à la faire lorsqu’on ne leur en n’a pas donné. Votre etc. »

Mon correspondant est d’une naïveté qui ne devrait plus être permise.

Comment ! il ne sait pas que, dans un siècle d’affaires, la religion elle-même devient matière à compromis et à trafic !

De quelque côté qu’on se tourne, on est pincé dans un admirable mécanisme de décrets, de prohibitions, de dépenses, de dispenses… etc… Vous payez pour être exempté de ne pas lire ! Ne vous plaignez pas. Si vous saviez ce qu’il en coûte aux pauvres diables ignorants pour être exemptés de lire !

Voilà que L’Ordre est de mon avis ; ce calice m’était réservé. La Lanterne a fait là une conquête gênante, mais qu’on juge du chemin qu’elle a dû faire dans l’opinion, lorsque de tels résultats se trahissent.

Lisez :

« Soyez tranquille, M. Buies ; il y a longtemps que l’Église a fait preuve de sa sollicitude en démasquant et en stigmatisant, comme elles le méritent, toutes ces sottes pratiques de dévotion que les esprits illettrés gobent partout. Si vous aviez jamais eu l’obligeance d’écouter un sermon quelconque jusque dans les églises de campagne, vous auriez entendu, comme nous, des prêtres, peut-être de ceux que vous qualifiez si poliment d’ignorants, de cruels, d’hypocrites, et que savons-nous encore ? reprocher à leurs paroissiens, ou à une certaine classe parmi eux, ces superstitions niaises que vous prétendez être entretenues parmi les catholiques, et les éclairer sur ce sujet. Ces pratiques sont bien plutôt l’invention de l’esprit de ténèbres, qui cherche à se transformer en ange de lumière pour détourner les fidèles des sérieux devoirs de la religion, en occupant leur esprit à des puérilités. »

Non, certes, non, je ne pensais pas marcher sur les pas du clergé en écrivant la Lanterne.

Je me figurais naïvement que tous ces petits livres ridicules, comme le Saint Suaire et le Recueil de Neuvaines (dont je parlerai), que tous les livres plus ridicules encore dont j’ai reproduit le catalogue annoncé dans les journaux par nos libraires, se vendaient au vu et su de notre clergé, et étaient approuvés par lui… Je me figurais encore que toutes ces sottes pratiques de dévotion, comme le rosaire vivant, la