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M. Cartier, étant fatigué de voyager sur le Grand-Tronc, ne voyage plus que sur les steamships Allan. Il faut l’océan et l’espace au ministre d’une « Puissance. »

Le Grand-Tronc ne sert plus maintenant qu’au menu fretin des ministres locaux.

Ayant été obligé la semaine dernière de me rendre à Québec auprès du gouvernement, je demandai à voir un des ministres.

« Il est parti pour Montréal, » me dit-on. J’allai à Montréal.

« L’honorable M. vient de prendre le train d’Ottawa », m’apprit quelqu’un. Je me rendis à Ottawa. « Le ministre que vous cherchez, » me répondit un employé du gouvernement, « est précisément retourné à Québec hier soir. »

Nos ministres sont infatigables. Et dire qu’il n’arrive jamais d’accidents quand ils sont dans ce Grand-Tronc si prodigue cependant de la vie d’autrui ! C’est à désespérer de notre avenir !

Le Haut-Canada se hâte de regagner le temps qu’il a perdu lorsqu’il était avec nous.

Pendant que nous nous civilisons de moins en moins, il se civilise de plus en plus, afin de ne pas former un contraste ridicule avec les États-Unis, comme nous sommes menacés de le faire, si jamais l’Amérique anglaise leur est annexée.

Les mesures libérales sont adoptées les unes après les autres avec un entrain merveilleux. J’en ai fait connaître quelques unes. À son tour, M. Wood, trésorier de la province, vient de présenter un acte concernant les écoles industrielles :

« Il expliqua, dit le Pays, l’objet de ce projet de loi qui est de constituer plusieurs institutions charitables de la Province en autant d’écoles industrielles où seront admis les enfants, orphelins ou autres, qui n’ont pas de parents ou de gardiens naturels. Ils devront être admis, d’après la loi, sous l’autorité du secrétaire provincial. »

On comprend combien cette loi peut opérer de bien en remplaçant les maisons de refuge où, seuls, les enfants entachés de crimes sont admis, par des écoles où les enfants qui sont, en l’absence de ces institutions, forcément jetés sur la voie du crime, seraient admis de droit, sans l’intervention d’un magistrat de police dont la décision entraîne nécessairement une sorte de déshonneur.

En fait d’institutions charitables – qui ne sont pas transformées en écoles industrielles – nous avons, nous, l’hospice de Saint Vincent-de-Paul, lequel reçoit tous les pauvres qui paient douze piastres d’entrée, plus quatre piastres de pension par mois.

C’est un conseil indirect donné à tous ceux qui n’ont pas une croûte à se mettre sous la dent et qui ne savent pas où passer la nuit, de mendier pendant un mois pour trouver leurs douze piastres, puis de mendier encore tous les autres mois pour payer leur pension.