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Les prêtres ont suivi de point en point ce conseil, et ils ont fait de la femme un scorpion, afin de ne pas faire mentir saint Jérôme.

Les célibataires batchelors de Montréal, n’ont pas voulu laisser finir 1868 sans faire une démonstration de leur nombre, de leur valeur et de l’empire qu’ils exercent.

Ils ont donné, le 30 décembre, un grand bal où il y avait foule.

Donc, à ce bal s’étaient donné rendez-vous les plus élégantes de nos dames et demoiselles, et parmi elles, certes, les moins brillantes n’étaient pas les Canadiennes-françaises.

On avait un moyen certain de les reconnaître, c’étaient toutes celles qui étaient assises ou debout, pétillantes de désir, pendant que les Anglaises dansaient les galops et les valses.

Oui, les Anglaises et quelques Canadiennes effrénées ont donné publiquement le scandale des danses vives (fast dances).

Ce crime, qui consiste à faire deux ou trois pas rapidement, aux mains d’un danseur plus ou moins habile, est un tel attentat contre la morale que j’ai vu jusqu’à des vieilles filles de soixante ans s’y refuser obstinément, par crainte de tomber en pamoison… ou de faire plusieurs faux pas.

Les jeunes craignent les vieilles, et pendant que les Anglaises s’amusent, les Canadiennes passent leur temps à s’épier.

Celles qui ne savent pas faire un pas sont les plus fidèles à s’abstenir.

Celles qui savent en faire deux ou trois couvent du regard les couples harmonieux qui se balancent, en mêlant le rythme du mouvement à celui de la musique.

Enfin, il y a les mères et les grand’mères qui ont des rhumatismes, et qui s’imaginent que leurs filles doivent en avoir.

Je ne disconviens pas que la polka, par exemple, soit une des plus grandes obscénités qui existent et qu’il est bien plus moral de flirter à outrance, de presser amoureusement la taille d’une jeune fille, de l’embrasser même, si le besoin s’en fait sentir, pourvu que ce soit dans un coin et non en dansant.

J’ai nommé la polka à dessein, parce que dans la polka il y a trois pas, ce qui est bien plus immoral que le galop où l’on n’en fait que deux. Mais la valse est la pire de toutes les danses, parce qu’elle se danse indifféremment à deux et à trois pas, ce qui laisse dans l’esprit l’incertitude horrible de l’énormité du crime qu’on a commis.

La danse à quatre pas n’ayant pas encore été inventée, il faut croire que la valse est le dernier échelon de la dégradation humaine.