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opérer beaucoup, de profondes et durables. Sur tout cela Lahontan déchira le rideau.

« Les fameuses Relations des Jésuites, (1611-1672) lettres qu’ils envoyaient du Canada presque de mois en mois, avaient été un demi-siècle l’édifiant journal de l’Europe, journal intéressant, mêlé de bonnes descriptions, de touchants actes de martyrs, de miracles, de conversions. Tout cela très habile et fort bien combiné pour émouvoir les femmes, pour attirer leurs dons, pour les faire travailler, à la cour et partout, dans l’intérêt des Pères. Le brave capitaine Champlain montre déjà comment les commerçants avaient dans les Jésuites de dangereux rivaux, et comment les dames (de Sourdis, de Quercheville, etc.,) travaillaient à donner la direction exclusive à ces religieux, plus fins qu’habiles, et qui toujours firent manquer tout.

« Les Relations des Jésuites n’ont garde d’expliquer ce que c’étaient que leurs martyrs ; c’étaient des martyrs politiques. Alliés des Hurons, auxquels ils fournissaient des armes contre les Iroquois, dans la terrible guerre de frères que se firent ces deux peuples, les Jésuites surpris dans les villages hurons étaient traités en ennemis.

« Une petite confédération toujours citée par eux trompait sur l’Amérique entière. Les Iroquois, héros cruels et tendus à l’excès, d’un fier esprit guerrier, leur servaient à faire croire que tout le nouveau continent était du monde atroce, et par cette terreur ils le fermaient, s’en assuraient le monopole. Lorsque les voyageurs laïques s’y hasardèrent, ils virent tout le contraire. Ils trouvèrent chez les tribus de l’intérieur une touchante hospitalité.

« Il faut voir dans Cartier, Champlain, mais dans Léry surtout, l’aimable, le charmant accueil que les peuples des deux Amériques faisaient à nos Français. Les pauvres gens croyaient que ces étrangers généreux prendraient parti pour eux, les défendraient contre leurs ennemis. Le mot que les femmes d’Afrique disaient à Livingston : « Donnez-nous le sommeil ! (la sécurité) c’est l’idée des Américaines, quand elles faisaient au voyageur français une si tendre réception. On l’asseyait sur un lit de coton. Ces douces créatures, toutes nues, venaient pleurer à ses pieds, si bien qu’il ne pouvait s’empêcher de pleurer lui-même. C’étaient des petits mots de sœurs, qui fondaient l’âme : « Quoi ! tu as pris la peine de venir de si loin pour nous voir ?… que tu es donc aimable et bon ! »

« Ces observateurs excellents s’accordent en tout là-dessus. L’Amérique sentait qu’elle avait besoin de l’Europe, d’une Europe compatissante. Ces tribus, d’elles-mêmes humaines et douces, n’étaient ensauvagées que par leurs discordes intérieures, des vengeances mutuelles, des représailles qu’on ne savait comment finir. Leurs éternelles petites guerres avaient porté à la famille même une grave atteinte qui la menaçait réellement d’extinction. C’est ce qu’on a vu dans l’ancienne Grèce. Une vie trop guerrière y fit considérer la femme comme un être presque inutile, un embarras souvent funeste. De là une dépo-