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auxquels la Minerve veut bien prêter par-ci par-là ses colonnes, comme on donne une beurrée à des petiots :

Quelques brebis attaquées se sont glissées au bercail et ont communiqué la contagion à un grand nombre.

Les jeunes surtout, dont le caractère et l’ardeur se plient difficilement au joug, dont l’intelligence aime à s’exercer, qui tous cherchent un champ, une carrière à parcourir, s’insurgent dès aujourd’hui et ne veulent plus obéir à la voix de leurs chefs. Prudents et dissimulés, ils voudraient changer les cadres du régiment sans toucher aux manœuvres. Ils ne s’aperçoivent pas qu’ils tentent l’impossible et que l’obéissance et la discipline sont les seules vertus appréciées dans le parti !

Discuter, donner des raisons, c’est de l’indépendance, de la libre recherche, tout cela sent la révolte et frise l’hérésie. Vous vous êtes appuyés jusqu’ici sur un appui qui vous a manqué qui s’est même changé en cause de chute, lorsque vous en avez eu besoin. Eh bien ! sachez qu’il en sera toujours ainsi, tant que vous voudrez conserver votre individualité. Il n’y a pas de tiers parti possible ; conservateurs ou libéraux, choisissez. Vos vêtements d’emprunt et vos allures multiples ne donnent le change à personne vous perdez inutilement le bénéfice de vos métamorphoses ; vous ne pourrez que devenir suspects aux vôtres sans servir le progrès.

Voilà pourquoi, enfin, les conservateurs vous repousseront comme dangereux, et nous comme inutiles, tandis que votre ridicule conspiration n’aura servi qu’à river plus fortement vos chaînes, affermir ce qu’elle voulait ébranler et livrer le secret du silence des uns comme du langage des autres.

Comprendrez-vous enfin, jeunes gens, comprendrez-vous qu’entre les mains du clergé, vous ne pouvez être qu’un instrument de circonstance qu’il brise dès qu’il n’en a plus besoin, qu’en croyant vous faire de lui un allié, vous vous êtes donné un maître qui exploite à son profit unique tout le bien que vous pouvez faire avec vos talents et votre énergie, qu’en persistant à ne pas vous arracher à vos chaînes, vous perdez de plus en plus le sentier de l’avenir, que vous vous rendez inhabiles aux conditions nécessaires de notre prochain état de société, et que vous vous trouverez avant longtemps peut-être isolés au milieu d’un monde qui aura marché sans vous ?

Mais combien de temps encore devrai-je prêcher dans le désert ?