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Voulez-vous revenir au Canada pour n’avoir même pas le droit de lire les journaux que vous préférez, pour voir le prêtre pénétrant, comme dans son domaine, au sein de votre famille pour y semer la discorde, si vous ne lui obéissez jusque dans ses caprices ? Voulez-vous venir voir les maîtres de poste, d’accord avec lui, pour consigner les journaux indépendants qui porteraient la vérité dans les campagnes enténébrées ? Voulez-vous vous sentir un objet de répulsion, si vous êtes un homme libre, et le curé, du haut de la chaire, vous montrer au doigt et armer contre vous l’aveugle méchanceté de l’ignorance, pousser à vous haïr les hommes mêmes que vous voulez éclairer ? Voulez-vous venir voir vos terres saisies et vendues pour dettes envers ces fabriques dont personne ne connaît les secrets ? Voulez-vous venir payer la dîme et des mannequins cirés, et, au nom de la religion, voir des évêques vous imposer pour les jouissances de leur orgueil ?

Est-ce la pauvreté lamentable des paroisses s’étendant comme un linceul autour des presbytères élégants, vastes et joyeux, que vous voulez contempler ?

Est-ce la religion de vos pères que vous regrettez ? Venez la voir dans nos villes, cotée à tant par tête.

Vous avez exercé les droits des hommes libres ; vous avez été des citoyens de la grande république, venez ici, si vous l’osez, offrir vos votes aux hommes du progrès, venez apporter votre indépendance, vos aspirations, pour entendre aussitôt les prêtres de la bourse, qui sont les seuls oracles et les seules guides de vos compatriotes, fulminer contre vous les anathèmes, et vous réduire par la persécution à sacrifier vos droits, ou du moins à craindre de les exercer.

Mais vous n’avez pas oublié tout cela, et vous ne désirez pas revenir dans une patrie asservie. C’est ici que vous seriez dans l’exil. Restez où vous avez trouvé le travail qui fait les hommes libres.

Je reçois d’un écrivain très en renom à Paris la lettre suivante que je commets l’indiscrétion de mettre sous les yeux du lecteur, parce qu’elle me fournit l’occasion de répondre à certaines observations analogues qui m’ont déjà été faites par quelques amis, et qu’un plus grand nombre peut-être pourraient être disposés à me faire.

Je demande pardon d’avoir à parler de moi ; qu’on veuille bien considérer ma personne comme indifférente pour ne voir que la situation qui m’est faite, et quelles leçons elle renferme en elle-même.

Que l’exemple vienne de moi ou d’autres, peu importe ; mais qu’il soit bon et utile, voilà ce qu’il faut avoir en vue.

« Paris, 31 décembre 1868.


« Mon cher ami,

« J’ai reçu vos Lanternes. Inutile de vous dire si j’ai lu avec intérêt vos spirituels pamphlets : ils ont de la verve, de l’emportement de bon aloi ; mais la vérité est que ce n’est pas votre genre.