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d’un geste et d’un mot convenus. Quand les néophytes sont assemblés et suffisamment préparés par la prière et la méditation, apparaît le céleste coulissier.

Son aspect inspire tout d’abord un sympathique respect.

Pour peu que vous joigniez un peu d’exaltation cérébrale à l’amour du merveilleux, vous jouirez d’un trouble indicible, et vous vous croirez transporté, suivant l’expression d’une romanesque dévote, dans l’antichambre du paradis. Une voix intérieure, magique, irrésistible, enchanteresse, vous avertira que cet homme n’est pas un homme ordinaire, et l’espérance inondera votre cœur.

Au reste tout, chez ce prophète inconnu craignant Dieu et les sergents de ville, est de nature à en imposer. Il porte, comme portaient les anciens patriarches, une longue barbe dont il se montrerait fier certainement si, au lieu d’appartenir au ciel, il appartenait à un régiment de sapeurs. Sa parole douce et grave a des accents pénétrants. Il semble agir par une volonté supérieure à la sienne et parler sous la dictée d’un génie invisible.

Parfois il se laisse entraîner à des mouvements sublimes d’une passion ultraterrestre. Qu’il est beau alors ! On l’applaudirait n’était la sainteté du lieu et la vénération qui lui est due. Ses gestes sont nobles et sa physionomie conserve, quoi qu’il dise, un caractère de sérénité ; il lève les yeux au plafond et bénit abondamment, un peu peut-être pour faire apprécier de ses ouailles (côté des femmes) des mains blanches et soignées. Ce n’est jamais lui qui fait la quête après chaque conférence ; c’est la maîtresse du logis qui se charge de ce détail vulgaire.

On serait très condamnable de remonter dans la vie des prophètes parisiens — que rendent de plus en plus commune la concurrence dans tous les emplois et la cherté des vivres, — pour y découvrir par quelles séries d’épreuves il leur a fallu passer avant d’arriver à cet état de purification qui les a rendus dignes de la grâce.

Une semblable enquête serait considérée par les néophytes comme un manque de respect vis-à-vis des interprètes du roi des rois, et une offense envers Dieu, — qui, du reste, n’a jamais aimé les curieux. Cependant, si vous osez affronter le blâme des néophytes et ne craignez pas de mettre le bon Dieu en colère, vous ferez cette enquête, et voici ce qu’elle vous révélera neuf fois sur dix.

Le prophète parisien n’a fait au collège que des études incomplètes. À vingt ans, ne sachant rien, ou presque rien, il s’est cru apte à tout entreprendre. La Fontaine l’a dit :

Sois un simple imbécile,
J’en ai vu beaucoup réussir.

Il cherche un emploi quelconque et n’en veut ou n’en peut occuper aucun. Ballotté par le besoin, las de demander un dîner à crédit chez la crémière et de perdre son bock aux dominos, il rêve un