Page:Buies - La lanterne, 1884.djvu/243

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
243

campagnes ; on s’amusa à leur couper la queue, d’autrefois les oreilles, ou bien on leur tondait le poil ras, afin que les missionnaires fussent partout sur leur passage, soit un objet d’horreur, soit un objet de ridicule.

Cependant, ils réussirent à se fixer quelque part ; le grain de semence, emporté par le vent, finit toujours par tomber sur quelque coin de terre, dans quelque sillon perdu où l’œil ne le voit qu’après qu’il a germé.

Ils eurent des maisons. Oui, sur ce sol rongé par la dîme, mesuré comme un domaine par les prêtres, devenu tombeau sous leurs pas, il s’éleva des maisons libres de leur contrôle, n’ayant pas besoin d’être bénies par eux pour échapper à l’incendie, ne les ayant pas à leur tête pour empêcher la lecture, toujours pour que le peuple s’instruise.

Aujourd’hui ces maisons ont des élèves, progressent, augmentent, mais savez-vous leurs commencements ? Savez-vous que des curés furieux de voir ces ennemis, futurs vainqueurs de la superstition, s’installer au beau milieu de leurs paroisses et leur enlever tous les ans quelques payeurs de dîmes, conçurent l’infâme dessein de représenter ces maisons comme des refuges de prostituées, des repaires où se rassemblaient les criminels ?

J’ai vu la chaumière où une femme, qui laissera un nom longtemps vénéré, modèle de vertu et d’abnégation, martyre de vingt-cinq ans, réunissait dans sa mansarde les pauvres enfants qui allaient à elle, et leur apprenait les éléments de toutes choses qu’ils eussent en vain, cherchés dans les écoles de campagnes où l’instituteur est la marionnette du curé.

Le temps n’est pas loin peut-être où l’on rendra une justice aussi éclatante qu’elle aura été tardive à ces missionnaires courageux et intrépides qui bravèrent bien plus que les supplices, qui bravèrent l’horreur et l’odieux attachés à leur nom, qui ne craignirent pas de se voir, pendant des années entières, exposés à toutes les persécutions, à toutes les injustices, à toutes les répulsions de préjugés haineux et féroces, pour affranchir et éclairer les pauvres gens qui les conspuaient.

Aujourd’hui encore, un préjugé absurde, plus fort que tous les raisonnements, plus fort que le sentiment de la plus élémentaire équité, attache à leur personne une appellation ridicule, ne pouvant plus y joindre la flétrissure.