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Il faut avouer qu’ils ne sont pas charitables.

C’est bien le lieu de dire ici que si l’Élise a la douleur de voir des milliers d’hommes se ruer avec impiété contre tout ce qui est auguste et saint, parce qu’ils veulent vivre d’une vie tout animale, d’un autre côté, elle a l’ineffable consolation d’en voir des milliers d’autres laver leurs robes dans le sang de l’Agneau et s’élancer dans les splendeurs de l’éternité.

Je ne sais pas jusqu’à quel point c’est une consolation que de voir égorger trois mille des siens. Mais enfin, chacun a sa manière de comprendre le bonheur, et je ne veux pas enlever cette joie à la Gazette.

J’admettrai même que rien n’est plus ineffable, comme consolation, que de laver sa robe dans le sang d’un agneau. Si c’est là une manière d’être égorgé, elle est beaucoup plus douce que celle des Huguenots qu’on rôtissait tout vifs, sans consolation aucune, sans qu’ils eussent même celle de la trouver ineffable.

Il n’y a que les païens pour avoir ces raffinements de barbarie.

Être lancé dans les splendeurs de l’éternité est encore une consolation que les hommes méconnaissent trop souvent, mais elle ne vaut pas toutefois celle de laver sa robe dans le sang de l’agneau.

Je supplie le lecteur de calmer un moment les transports de son admiration, pendant qu’il va lire l’extrait suivant d’une lettre adressée au Constitutionnel de Trois-Rivières par un de nos zouaves.

L’idiotisme le plus incurable serait impuissant à enfanter une pareille production.

Il n’y a que la foi qui accomplisse de tels miracles :

« L’an dernier, » contait dernièrement un officier tout à fait digne de foi, « pendant les événements d’Octobre et Novembre, un corps de garibaldiens franchissait de grand matin les frontières romaines et se disposait à envahir les États Pontificaux, quand, à son grand étonnement et tout à fait contre son attente et ses prévisions, un bataillon de Zouaves apparut tout rangé en bataille, sur le sommet d’une montagne voisine. Le soleil levant frappait sur les défenseurs du Pape et les hommes, les armes, les habits, tout était du plus beau brillant : on eût dit une armée de séraphins. Il n’en fallait pas tant pour les braves garibaldiens, et tous de rebrousser chemin et de repasser glorieusement la frontière. »

« Maintenant, qui commandait ces Zouaves et d’où venaient-ils ? Personne ne le sait. Les autorités militaires affirment n’avoir envoyé aucune troupe dans cette direction et sont prêtes à affirmer qu’aucune compagnie composant le régiment des Zouaves n’a pu humainement se trouver en cet endroit au jour indiqué. Qu’était-ce donc que ces brillants soldats ? Probablement les morts de Castelfidardo, de Serristori, de Monte-Lebratti, de Mentana, envoyés par Dieu pour prêter main sainte à leurs anciens frères d’armes. Oh ! ce dût être un beau