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Le monde va-t-il être couvert d’un nouveau déluge ? Tout porte à le croire.

En Canada, il y a quinze pieds de neige entassés sur le sol. Dans la Californie, dans la Louisiane, dans l’Amérique Centrale, il tombe depuis un mois des pluies torrentielles ; tous les travaux agricoles sont abandonnés.

On aurait bien dû nous prévenir trois cents ans d’avance, ce n’était pas de trop pour construire une arche capable de loger toutes les bêtes du Canada.

Le Nouveau-Monde, la Minerve et L’Ordre trouveront toujours à se loger, sans qu’il leur en coûte rien.

La presse religieuse sera surabondamment représentée ; mais que deviendra le commun du troupeau ?

J’ose encore espérer dans la clémence du Seigneur. Il ne voudra pas, non, il ne voudra pas qu’un nouveau déluge arrive avant que M. Cartier n’ait conclu son achat de la baie d’Hudson, ou qu’il soit fait lord.

Le Grand-Tronc met juste quinze jours à faire le trajet de Montréal à St-Jean, distance de 30 milles.

Il est à supposer dès lors que les trains du chemin de fer intercolonial mettront au moins six mois à se rendre de Québec à Halifax.

Vous partez d’ici le premier janvier, avec un casque, des mocassins et un capot de buffle, et vous arrivez à Halifax le 1er juillet, comme une tinette de beurre fondu.

On a tous les agréments possibles sous la confédération.

Ce chemin de fer intercolonial coûtera 120 millions de dollars, attendu que les contrats ont été faits pour six millions ; il coûtera en outre trois à quatre millions par année pour son entretien et il rapportera… des malles expédiées depuis six mois.

L’été, il sera complètement inutile.

Donc, il ne faut pas parler de l’annexion.

M. Bellingham, tory de la vieille roche — tous les torys sont de la vieille roche — admet que si nous ne sommes pas annexés aux États-Unis, avant cinq ans il n’y aura plus que des affamés en Canada, mais qu’il vaut mieux mourir de faim et rester colons que de prendre de bons dîners et d’être des hommes libres.

J’admire ce noble désintéressement et ce patriotisme qui défie les coliques.

Mais comme il n’y a pas que des vieilles roches en Canada, qu’il s’y trouve aussi des hommes, et que ces hommes-là ont un ventre, je ne vois pas ce qu’ils ont à gagner à le tenir vide.