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menacés à tout propos des colères et des châtiments de l’Église, et cela quelquefois malgré des actes de soumission et des tentatives sérieuses de rapprochement. Ce que voulait l’évêque Bourget, c’était une docilité absolue, la suppression de toute opinion libre et une dépendance entière de l’autorité ecclésiastique. Il voulait gouverner la société comme le supérieur des jésuites gouverne son ordre. Il voulait que tout individualisme disparût, que toute société indépendante s’effaçât pour ne laisser debout que le clergé, maître incontesté et suprême arbitre de toutes les choses d’ici-bas.

Il y réussit et pendant un long temps on a vu les consciences brisées sous le joug, avilies, toute expression d’idées libres rendue impossible et la presse canadienne-française livrée au plus honteux servage intellectuel que l’on puisse imaginer, même dans les pays les plus despotiquement gouvernés. Mais il est impossible d’opposer un obstacle de quelque durée à l’expansion de l’esprit moderne, aux conquêtes victorieuses qu’il fait tous les jours, grâce au développement général de l’instruction publique, pas plus qu’aux démonstrations écrasantes de la science qui ont mis à néant tant de choses vénérées jusqu’aujourd’hui presque à l’égal des dogmes. Le règne de la théocratie est fini, à tout jamais anéanti.

Depuis quelques années la réaction a commencé dans le Canada français, et sa marche a été si rapide, si envahissante que nous-mêmes, les purs libéraux de la vieille race, nous en sommes presque aussi décontenancés qu’émerveillés, et comme pris au dépourvu devant cet énergique réveil des consciences et des idées. Sans doute les excès et les monstruosités de la presse fanatique ont aidé aux progrès de cette réaction, sans doute il y a dans le clergé une partie saine qui déplore ces excès et leur fait même une petite guerre enfantine et impuissante ; sans doute il y a des prêtres éclairés, instruits, comprenant leur époque, qui envisagent avec effroi l’avenir que ces excès et ces monstruosités préparent à l’Église, mais ils sont en trop petit nombre pour arrêter le torrent du fanatisme aveugle et imbécile, et lorsque nous disons « le clergé », si, au fond du cœur, nous faisons quelque exception pour eux, il nous est impossible de leur en donner le bénéfice dans la lutte que nous entreprenons de nouveau au nom de la liberté de l’instruction et de la pensée.

La liberté de l’instruction publique ! Voilà ce que nous voulons, et ce que le clergé ne veut concéder à aucun prix, et voilà pourquoi nous considérons le clergé comme l’ennemi naturel, instinctif des institutions, de l’esprit et de la science modernes. Nous voulons que l’instruction publique ne soit plus contrôlée par le clergé ; nous la voulons libre, absolument libre, et nous combattrons pour cette liberté jusqu’à ce que nous l’ayons conquise. Nous considérons l’instruction libre comme le plus grand bienfait et le plus grand honneur des sociétés, et si nous ne pouvons encore trouver parmi les politiques d’hommes assez osés pour insérer cet article dans leur programme, nous combattrons jusqu’à ces hommes se trouvent, et ils se trouveront.