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Il n’y aura pas de progrès possible pour le Canada tant qu’il ne se sera pas affranchi entièrement du contrôle clérical et du gouvernement clérical. Tant que nous n’en serons pas rendus là, nous ne serons pas des hommes libres, mais nous serons et nous resterons des enfants et des ignorants. Que dans les matières purement, essentiellement spirituelles, le clergé ait un pouvoir et une autorité discrétionnaires, nous le concédons ; mais hors de là, rien, rien, si ce n’est la coopération à l’enseignement si le clergé la désire, car nous voulons que tout le monde soit libre d’enseigner. Mais qui dit « liberté » dit tout le contraire de monopole ; et c’est le monopole que le clergé exerce. Ah ! nous admettons volontiers qu’il a pu exister dans notre histoire un temps où le clergé a rendu d’immenses services comme pionnier de la civilisation et auxiliaire indispensable de la colonisation, de même qu’il a pu exister un temps où l’autorité temporelle des papes fut un grand bienfait pour les peuples de l’Europe encore à demi barbares, mais ces époques sont loin. Vouloir qu’aujourd’hui, en 1884, le clergé soit roi et maître du Canada, comme il l’était il y a deux cents ans, c’est un monstrueux et redoutable anachronisme. Et cependant il l’est ; il n’a rien perdu de son ancienne étreinte des intelligences et des consciences ; il les tient, les mène et les dirige presque aussi exclusivement qu’il le faisait lorsqu’il avait à sa tête ce dominateur intraitable et farouche qui s’appelait l’évêque Laval.

Eh bien ! voilà ce qui ne doit plus être. Notre pays, comme tous les autres pays du monde, doit s’affranchir de ce pouvoir d’un autre âge, de ce gouvernement religieux de l’état civil et de cette ingérence autoritaire qui s’exerce jusque dans les actes les plus ordinaires de la vie et qui est toujours armée des foudres de l’Église contre les moindres infractions à des prescriptions ou à des commandements ridicules. Il faut que la province de Québec s’émancipe si elle veut parvenir à la virilité et à la pleine lumière. Cessons de donner au monde le spectacle humiliant d’un pays de moyen-âge à la fin du 19e siècle, et marchons hardiment vers la destinée inévitable qui est celle de tous les peuples civilisés, guidés par l’instruction libre, par l’esprit de tolérance mutuelle et par la science.

Montréal, ce 20 octobre 1884



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