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« Le saint-père a daigné admettre au baisement des pieds les officiers des troupes qui sont au camp. »

« Le saint-père a daigné admettre au baisement des pieds une grande partie de la noblesse et de la fleur des habitants de Rome, et des religieux, et des religieuses. »

Le saint-père a enfin livré ses pieds sacrés aux baisers de la multitude.

« Sa Sainteté a distribué des médailles à toutes les personnes qui ont eu l’honneur de lui baiser les pieds. »

Le saint-père donnant la bénédiction à son armée se rend-il bien compte de ce qu’il bénit ? Il bénit les sabres, les fusils, les bayonnettes, la poudre et le plomb. Il appelle sur des chrétiens les blessures et les plaies ; il bénit le sang et la mort.

Pour ce qui est du « baisement des pieds, » il est à remarquer que les rois d’Occident n’ont jamais osé se laisser baiser que la main, quoique la race des courtisans se soit montrée de tout temps disposé à leur baiser n’importe quoi.

(Je porte envie à quelqu’un qui, la semaine dernière, a signalé le crime de lèche-majesté.)

En effet, ce genre de criminel est le malheur des peuples et la perte des rois.

Du temps de la royauté, il était d’étiquette qu’une femme, présentée pour la première fois, s’inclinât devant la reine et prit le bas de sa robe comme pour la baiser, mais la reine devait faire un pas en arrière et ne pas le permettre.

Ce qui est incontestable, c’est que la présence du pape dans les camps doit très heureusement modifier les habitudes militaires. Deux officiers se rencontrant le matin ne se disent plus : « Venez-vous prendre un verre d’absinthe ? ou : Acceptez-vous une chope de bière ? »

L’un dit à l’autre :

« Venez-vous baiser les pieds ? c’est moi qui paye. »