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Du reste, les Jésuites, dont la mission est de s’occuper de tout le monde, n’aiment pas qu’on s’occupe d’eux.

Ils répondront poliment à la Junte Provisoire qu’ils ne veulent pas lui donner le moindre embarras et qu’ils préfèrent rester, pour ne déranger personne.

Quant au palais de la reine, il me paraît plus difficile à remplir qu’à vider.

Les temps sont durs ; on ne se soucie guère du reste de se faire mettre à la porte avant l’expiration de son bail, même avec vingt-deux millions de réaux d’indemnité.

Mais voyez l’aveuglement des peuples ! À peine se défont-ils d’un roi qu’ils en redemandent un autre.

Ce n’était pas Palais à louer qu’il fallait mettre, c’était : Palais fermé pour cause d’utilité publique.

On va élever une statue à la reine d’Angleterre sur la Place d’Armes.

C’est une grande idée.

On en a élevé une déjà à Nelson, personnage aussi indifférent au Canada que la reine d’Angleterre.

Mais Jacques-Cartier qui l’a découvert, Champlain qui l’a fondé, Talon qui l’a colonisé, n’ont de statue nulle part.

Ceci ne prouve qu’une chose, c’est que les Canadiens sont des Canadiens et que les Anglais sont des Anglais.

Mais soyons fiers de notre nationalité, il y a de quoi !




MORT DU COMMANDANT TÊTU


J’interromps un instant ma Lanterne, lecteurs, pour donner cours à des regrets que je ne saurais vous taire.

Je viens de perdre un ami d’enfance, presque un frère. Le commandant Théophile Têtu vient de succomber subitement à un anévrisme, pendant qu’il croisait dans le golfe, à bord de La Canadienne.

Il est mort à trente-trois ans, et c’était la première année de son commandement.

Tout le monde aimait Théophile Têtu. Il était brave, spirituel, élégant, plein de cœur.

Sa santé robuste, l’estime publique, sa position fièrement acquise lui promettaient un avenir digne de ses talents et de son mérite.

Il est mort sans avoir conquis un nom, sans avoir donné la mesure de ce qu’il pouvait faire.

La mort est étrangement avide et cruelle dans ses choix. Jamais elle ne fait le compte de ceux qui restent pour pleurer ceux qui ne sont plus. Pressée de moissonner, elle avance l’heure de ses victimes, et prend par surprise celles qui pourraient longtemps la combattre.