Page:Buies - La lanterne, 1884.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
67

Je ne fais pas d’appel aux protestants plutôt qu’aux juifs, ou aux mahométans, s’il y en a. Je fais appel à tous les hommes libres qui ne veulent pas se laisser fouler aux pieds par le clergé ; et j’ai fait cet appel dans le Witness, parce que c’était mon bon plaisir.

En voulez-vous la raison ? La voici.

En fait de fanatisme, il n’y a rien de si outrageusement et de si stupidement fanatique que la presse canadienne-française. C’est elle qui a réussi à faire en Canada deux populations distinguées entre elles, non pas tant par la langue, par l’esprit, les mœurs et le caractère, que par la religion.

En Canada, il n’y a que des catholiques et des protestants. La religion absorbe tout. Nous avons des institutions libres, mais elles sont nullifiées par le fanatisme et le servilisme de la presse française. Aucune idée indépendante ne peut s’y faire jour.

Est-ce ma faute, à moi, si vous êtes tellement bornés et tellement bigots, qu’il me faille avoir recours à une feuille anglaise pour publier ce que je crois utile et juste ?

Quoi ! voilà un journal qui paraît dans une ville que j’habite, un journal estimé, qui se tire à 8 ou 10, 000 exemplaires, qui est lu par tout le monde, et je n’aurai pas le droit de lui envoyer une lettre, parce qu’il est rédigé par des protestants ! Ah ça ! où vivons-nous donc ? Il est temps que cela finisse, que les cultes ne soient pas ennemis du moins, s’ils ne sont pas semblables, et qu’une intolérance odieuse, fruit de l’ignorance des uns et de la bigoterie intéressée des autres, ne soit pas la règle qui domine tous nos actes.

J’ai prêché d’exemple encore cette fois en écrivant dans le Witness, pour démontrer qu’il est temps de s’affranchir de préjugés et de mœurs barbares qui mettent à couteaux tirés toute une population jouissant des mêmes droits, des mêmes institutions, des mêmes libertés.

Avec ce fanatisme de la presse française, il est impossible que nous formions jamais en Canada une nation une, et c’est vous qui maintenez cette division que le progrès de notre époque aurait dû depuis longtemps effacer.

Vous dites, Journal de Québec, que les persécutions dont je me plains n’existent pas, que je ne ferai croire à personne que l’autorité religieuse s’occupe de moi, qu’elle se contente de me laisser m’agiter dans le vide, et ne veut pas donner à mes attaques une réfutation bien facile, qu’elle les méprise, parce que c’est ce qu’elles méritent.

Eh bien ! mais pourquoi venez-vous donc, vous, organe officieux de cette autorité, me chercher dans ce vide où je me débats ?

Pourquoi, si cette réfutation de mes attaques est si facile, ne la fait-on pas ?

C’est votre devoir impérieux de la faire, et le clergé est coupable de laisser accomplir le mal qu’il pourrait empêcher.