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du système. Au bout d’un an, il vous faudrait une nouvelle fournée d’élèves formés à l’Institut Canadien, car la première serait devenue complètement idiote.

Nos jeunes gens ont perdu l’ambition de l’aplatissement ; il en est qui sont restés avec vous ; ceux-là n’ont plus la force de se relever ; captifs endormis, ils regardent leurs chaînes d’un air hébété, ne sachant même plus qu’ils sont esclaves. D’autres s’agitent, mais ils retombent, vaincus par le poison que vous avez versé dans leur intelligence.

Ils font pitié à voir ; aussi je les regarde sans dédain. Caractères avachis, cœurs étiolés, fantômes sournois, on les aperçoit qui passent, l’œil terne, ne voyant plus d’avenir, bornés à l’ombre qui les entoure.

Une triste lassitude règne dans ces âmes abattues avant d’avoir pris leur vol. Partout ailleurs la jeunesse a des élans ; ici, elle n’a que des craintes.

Vous avez étouffé en elle la source généreuse du patriotisme et de l’abnégation. Cette soif de liberté et de lumière qui s’abreuve et s’augmente à la fois par l’absorption des grandes idées, qui seule est l’instrument du progrès humain, dont les désirs toujours croissants accusent l’intarissable fécondité de l’esprit, vous l’avez étouffée sous les capuchons de l’Union Catholique, comme on étouffe un feu dévorant que l’eau ne peut éteindre.

Non, vous n’aviez pas assez d’eau bénite pour nous noyer dans le marais. Il vous a fallu des ressources inouïes contre cette jeunesse livrée à vous sans défense, fréquentant vos collèges, ignorant que le monde partout marchait, tandis qu’elle seule reculait.

Nous étions autrefois un peuple fier, vigoureux, indomptable. Nous luttâmes un siècle contre la puissante Albion. Plus tard, vaincus, mais glorieux du passé, nous restâmes seuls, à l’écart, nourrissant l’âpre amour de la nationalité, grandissant et espérant.

Mais depuis un quart de siècle, nous rapetissons et nous n’espérons plus.

Si vous aviez fait des hommes, ces hommes eussent fait un grand pays, aujourd’hui libre, mais vous avez préféré enseigner l’obéissance, gardant pour vous le commandement ; et maintenant, façonnés à ce joug, nous sommes tellement avilis, tellement bafoués, que nous éprouvons comme une humiliation d’être appelés canadiens-français.