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femmes et des filles… Pour être bien dans leurs papiers, il faut communier tous les mois. Chacun est obligé de donner à Pâques un billet à son confesseur. Les prêtres font la guerre aux livres ; il n’y a que les volumes de dévotion qui vont tête levée ; tous les autres sont défendus et condamnés au fou.

Les gouvernements politique, civil, ecclésiastique et militaire ne sont, pour ainsi dire, qu’une même chose en Canada, puisque les gouverneurs-généraux les plus rusés ont soumis leur autorité à celle des ecclésiastiques. Ceux qui n’ont pas voulu prendre ce parti s’en sont trouvés si mal qu’on les a rappelés heureusement. J’en pourrais citer plusieurs qui, pour n’avoir pas voulu adhérer aux sentiments de l’évêque et des jésuites, etc., ont été destitués de leurs emplois, et traités ensuite à la Cour comme des étourdis et des brouillons. (Frontenac)

Les gouverneurs-généraux, qui veulent s’avancer ou thésauriser, entendent deux messes par jour et sont obligés de se confesser une fois en 24 heures. Ils ont des ecclésiastiques à leurs trousses qui les accompagnent partout, et qui sont à proprement parler leurs conseillers. Alors les intendants, les gouverneurs particuliers et le conseil souverain n’oseraient mordre sur leur conduite, quoiqu’ils en eussent assez de sujet, par rapport aux malversations qu’ils font sous la protection des ecclésiastiques, lesquels les mettent à l’abri de toutes les accusations qu’on pourrait faire contre eux.

On nomme les gens par leur nom à la prédication, on défend sous peine d’excommunication la lecture des romans et des comédies. Les Jésuites et les Récollets s’accordent aussi peu que les Molinistes et les Jansénistes. Les premiers prétendent que les derniers n’ont aucun droit de confesser.

Le gouverneur-général ne peut se dispenser des Jésuites pour faire des traités avec les gouvernements de la Nouvelle Angleterre et de la Nouv-York, non plus qu’avec les Iroquois.

Les Conseillers du Conseil Souverain ne peuvent vendre, donner ou laisser leurs charges à leurs héritiers ou autres, sans le consentement du roi. Ils consultent les prêtres ou les Jésuites, lorsqu’il s’agit de rendre des jugements sur des affaires délicates ; mais lorsqu’il s’agit de quelque cause qui concerne les intérêts de ces bons Pères, s’ils la perdent, il faut que leur droit soit si mauvais, que le plus subtil et le plus rusé jurisconsulte ne puisse lui donner un bon tour. Plusieurs personnes m’ont assuré que les Jésuites faisaient un grand commerce de marchandises d’Europe et de pelleteries du Canada… Les gentilshommes ont bien des mesures à garder avec les ecclésiastiques, pour le bien et le mal qu’ils peuvent recevoir indirectement. L’évêque et les Jésuites font trouver des partis avantageux aux filles nobles. Un simple curé doit être ménagé, car il peut faire du bien ou du mal aux gentilshommes dans les seigneuries desquels il n’est pour ainsi dire que missionnaire, n’y ayant point de curés fixes en Canada. Les officiers entretiennent aussi avec eux de bonnes correspondances, sans quoi ils ne pourraient se soutenir. »

À ceux qui m’accusent d’exagération, je demanderai s’ils ont lu les choses dont je parle, et si l’exagération peut venir de moi qui ne fais que signaler et commenter des faits.

Si cela ne suffit pas, je répondrai à ceux qui me reprochent encore d’attaquer sans relâche le clergé, par les citations suivantes de la Gazette des Campagnes, où l’on verra que mes écrits sont d’une infinie douceur et d’une extrême modération, comparativement aux moyens et au langage dont les organes ultras se servent sans trêve et sans détour contre nous.

« La révolution, dit la Gazette, c’est la proclamation des droits de l’homme contre les droits de Dieu, » (comme si l’homme ne tenait pas ses droits de Dieu même !) « Faire des lois, sans tenir compte de la suprême autorité de Celui à qui tout est soumis, parce que rien n’existe que par lui ; faire de la politique, en mettant absolument de côté les intérêts spirituels des individus et des familles, seuls intérêts que la vraie politique doit favoriser, puisque les gouvernements n’existent que pour aider des âmes à se sauver…