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Mais fussé-je imprimeur et dussé-je y perdre toutes mes presses, tout mon matériel et toutes mes cases, j’aurais encore gardé une poignée de vieux caractères pour les jeter au visage de celui qui eût osé me faire une pareille menace.

Oui, nous sommes asservis et courbés. Mais pour nous rendre tels, certes il a fallu nous en donner outre mesure l’exemple, il nous a fallu des maîtres comme ceux qui, dans leur épouvante de la Lanterne, ont trouvé pour la combattre ce moyen, l’enlèvement d’un maigre patronage à un imprimeur !

Et ils savaient que cet imprimeur obéirait ! …

L’autre jour, c’étaient deux gamins à qui j’avais donné des Lanternes à vendre. L’un d’eux m’avait toujours bien servi ; cette fois il s’est sauvé. Sans doute il a rencontré un prêtre qui l’a menacé de l’enfer s’il me rapportait le prix de sa vente. Et pourquoi pas ? Un autre gamin avait bien eu l’ordre d’un prêtre de brûler les Lanternes qu’il avait reçues de moi.

Il y a des gens apostés dans les rues qui menacent de la police mes petits vendeurs ; on leur a fait toutes les misères imaginables ; l’un d’eux fut presque entraîné de force l’autre semaine chez le curé de Bonsecours.

Et voilà mes ennemis ! Ils ne disent rien, ils n’osent souffler mot devant moi qui, chaque semaine, les provoque et les expose sans relâche, mais ils font peur à des enfants de douze ans !!

Allons ! attaquez-moi donc, moi qui suis un homme, ou bien défendez-vous. Prenez-moi en face, tel que je m’offre. Il me semble que je vous présente un front contre lequel vous pouvez porter vos coups.

Mais non ; terribles dans l’ombre, effrayants par le mystère, vous n’êtes rien devant la résistance.

Il a suffi qu’on se montrât une fois pour ne plus savoir où vous trouver.

Nous n’avons pas toujours été un peuple flétri ; mais nous fûmes toujours un peuple d’enfants, tondable, exploitable à discrétion, et tondu et exploité.

Qu’on en juge par cette page écrite en 1685 par un diplomate envoyé de France au Canada, une page qui jamais n’a paru dans aucune de nos histoires, et que j’ai trouvée dans une bibliothèque de Paris :

« Le curé de Montréal empêche de penser au jeu, aux dames et à tout plaisir honnête ; il refuse la communion à des dames pour un pontage de couleurs. Il a des espions partout et vous fulmine du haut de la chaire. Le gouvernement n’oserait sans mêler… Les prêtres persécutent jusque dans le domestique et l’intérieur des maisons. Ils ont toujours les yeux ouverts sur la conduite des