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la pensée est une religion et le style est un culte ; il a placé son art dans le domaine lumineux de l’idéal, de l’idéal qu’il est toujours bon que les hommes conservent un peu, comme un refuge pour échapper de temps à autre à l’épaisse matière où ils sont si tristement retenus.

Mais il ne s’agit pas ici du pur domaine des lettres, de cette sphère si élevée que l’homme y dédaigne presque la terre, il s’agit de cette littérature aisée, quotidienne, populaire, mais qui aussi elle a ses droits et ses lois. Or, le premier de ses droits, c’est de ne pas laisser violer son sanctuaire par toute espèce d’intrus, aliborons cyniques qui se croient capables de tout, qui ne doutent de rien, et qui, ne faisant aucune différence entre une plume et une pioche, l’empoignent comme pour vous en frapper, n’étant pas habitués à s’en servir pour écrire. Messieurs, qui de vous n’a vu depuis quelques années surgir un certain nombre de publications, de nature différente, des journaux, des revues, des brochures, et même des volumes (oh ! je tremble), amas d’insignifiances et de lieux-communs étalés dans un style baroque, produits d’un jour, avortements prévus, masse qu’on feuillèterait à l’infini sans pouvoir y troquer une idée, dont le public est obligé de constater la naissance, mais dont il ignore presque toujours la mort ? Pourquoi ces publications ne sont-elles pas viables ou, si elles vivent, de quoi se nourrissent-elles ? quel est le mystère de cette existence prolongée en dépit de tout ? Ah ! il faut bien le dire pourquoi, parce que les choses en sont arrivées aujourd’hui sous ce rapport à un état qui est une véritable humiliation pour notre race, parce que l’on serait porté à croire que notre presse est l’image fidèle du degré d’instruction, de caractère et de moralité de tout un peuple, parce qu’il est du devoir, pour celui qui tient une plume indépendante, de ne pas fermer plus longtemps les yeux sur cette plaie profonde qui s’étend en toute liberté, et qu’il faut exposer