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DE LA MATAPÉDIA

n’ayant pu réussir à traverser la rivière, le malheureux revenait à la maison, exténué, découragé, le cœur brisé.

D’autres fois, quand il avait pu traverser la Matapédia, il lui restait à parcourir quinze milles, à pied, pour se rendre à Campbellton ou à Ristigouche. Le trajet accompli, il revenait le plus souvent avec d’autres colons comme lui, chacun avec un sac de farine sur les épaules ; mais d’autres fois aussi, ils revenaient tous les mains vides, et alors, pour ne pas être accablés par le désespoir, il leur fallait toute la résignation et toute la force que donne l’espoir dans la Providence.

Les provisions épuisées, ce qui arrivait promptement, il fallait encore se tourmenter l’esprit pour en trouver de nouvelles.

Comme on peut le croire, les récoltes n’offraient qu’une bien maigre ressource. Une famille arrivée dans le mois de juin, obligée d’abattre le premier arbre, de bâtir une maison, aurait-elle pu préparer et ensemencer assez de terre pour espérer une bonne moisson dès l’automne suivant ? On semait trop tard, et la gelée survenait avant la maturité des grains ; ce n’était cependant pas au climat qu’on avait à s’en prendre. Il fallait avoir un grand courage ou une grande détermination pour travailler avec la misère, comme compagne assidue. Le missionnaire, l’abbé Saucier gémissait de voir ses pauvres ouailles dans cette lamentable situation. Bien souvent, à son réveil, il craignait de s’entendre dire qu’un tel ou un tel était mort de faim… Mais la Providence veillait, et les douloureuses circonstances où se trouvait la colonie de la Matapédia ne