deux de la physionomie morale du pays que nous venons de parcourir. Durant la belle saison, l’on voit passer presque incessamment sur le chemin Kenogami des familles entières, venues, soit des plus anciens établissements du Saguenay, soit de nos vieilles paroisses, et qui vont chercher une nouvelle demeure dans la fertile vallée du lac Saint-Jean. Ces familles vont à pied, hommes, femmes et enfants portant des paquets, pendant qu’une voiture chargée de provisions et de meubles les précède sur la route. Elles s’acheminent d’un pas lent, avec un air à la fois de résignation et d’espérance ; souvent la mère tient dans ses bras un enfant trop petit pour marcher ; la sueur et la poussière inondent son visage ; elle est accablée de fatigue, mais elle n’en continue pas moins sans défaillance sa pénible marche, tant il faut de courage et de force d’âme pour accomplir ces pélerinages dont l’exil est le terme et qui n’ont parfois qu’une longue misère en perspective. Quand le fardeau que chacun porte devient trop lourd, la famille entière se repose sur le bord du chemin, la voiture s’arrête et le cheval, ou le bœuf qui y est attelé, broute tranquillement l’herbe qui pousse le long des clôtures. On tire d’un linge le gros pain qui y est enveloppé avec du beurre, et chacun mange en arrosant ce pauvre repas de quelques gorgées de lait, puisées à une bouteille qu’il passe ensuite à un autre, et que l’on renouvelle chemin faisant, à mesure
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