Page:Buies - Le Saguenay et le bassin du Lac St-Jean, 1896.djvu/256

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Le printemps de 1870 avait été remarquablement beau, et, dès les derniers jours d’avril, les colons de Saint-Jérôme avaient commencé le hersage. Ils avaient fait autant d’abattis que possible, et la fumée qui s’en élevait était si épaisse qu’elle obscurcissait les rayons du soleil. Depuis le 15 mai, la chaleur était intense. Tout à coup, dans l’après-midi du 18, un vent d’ouest s’élève, semblable à un cyclone des Indes, et, en quelques minutes, il a embrasé la forêt qui ceinture le village naissant. Hommes, femmes et enfants combattent en vain le fléau qui dévore tout ; les maisons et les semences sont détruites en moins de vingt-quatre heures, et chacun n’a plus qu’à chercher à se préserver soi-même du terrible élément déchaîné. L’air est plein des cris, des lamentations des victimes et des mugissements des animaux qui périssent engloutis dans les flots brûlants ; le vent tourbillonne avec fureur et la terre tremble sous ses assauts ; la forêt, tordue par la tempête et le torrent de flammes, gémit, craque et s’écrase avec un bruit de tonnerre ; les eaux courroucées du Lac s’élancent sur le rivage qui cède et s’ébranle : les flammèches, détachées de cet océan de feu, remplissent l’espace comme une pluie brûlante et l’air n’est plus respirable ; on ne peut rien voir autour de soi dans l’épaisse fumée, et les colons et les femmes, qui sont restés sur le lieu du sinistre, incapables de faire un pas, attendent la mort qui s’avance précipitée. Seules, les mères éperdues cherchent à percer la noire muraille de fumée pour courir après leurs enfants dont elles n’entendent