Page:Buies - Le Saguenay et le bassin du Lac St-Jean, 1896.djvu/325

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plonge dans les ravines, en sort par des bonds furieux, tourne brusquement, saute des obstacles encore à peine formés et mouvants, et elle arrive enfin au plateau qui domine le bassin où ce qui reste du Lac est étendu. Elle veut se faire un lit sur ce plateau et elle le creuse ; elle lui fait une entaille de vingt-cinq à trente pieds de profondeur, et, le lit creusé, inopinément elle se trouve sur la crête d’un roc jusque là caché par l’épaisse couche d’alluvion qu’elle vient de fendre de ses eaux. Ce roc s’élève droit, à pic, et il a 236 pieds de hauteur ! Retourner en arrière est impossible. Alors la Ouiatchouane, comme le guerrier qui se précipite dans la mêlée ténébreuse, mesure le gouffre qui l’attend et s’élance… Ce fut son dernier bond ; quelques pas plus loin, elle retrouva le Lac qui reçut ses ondes fatiguées et qui n’a pas cessé depuis lors de lui donner asile.

Si seulement la Ouiatchouane avait dévié quelque peu de sa course, elle aurait évité de faire cette chute énorme en évitant le rocher. D’ordinaire les rivières suivent les vallées, les gorges, ou courent à la base des montagnes ; mais pour que la Ouiatchouane ait sauté ainsi par dessus un rocher de 236 pieds de hauteur qui lui barrait le chemin, au lieu de le contourner et de se frayer tranquillement un lit en le longeant, il faut qu’elle ait été prise à l’improviste, qu’elle n’ait pas eu le temps de creuser son cours et qu’elle ait été emportée par une force irrésistible, aussi subite que violente ; il faut qu’elle ait été préci-