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Maintenant, jetez vos regards en arrière, quittez le point culminant de la ville, sortez de ses murs étroits et décrépits, et vous verrez se dérouler devant vous, en un magnifique amphithéâtre, toutes les campagnes environnantes. C’est Charlesbourg dont l’œil voit blanchir au loin les maisons rustiques ; c’est Lorette où les descendants des anciens Hurons sont venus chercher un refuge, et qui, au milieu des collines agrestes et des forêts de sapin qui l’entourent, ressemble à un nid de hibou perché dans les broussailles ; c’est Beauport qui prolonge, sur une longueur d’à peu près deux lieues, une suite non interrompue de joyeuses villas et de champs verdoyants, jusqu’à ce qu’enfin ce paysage calme et paisible vienne s’abîmer tout-à-coup dans le gouffre profond de la chute Montmorency.

C’est ici peut-être le plus imposant détail du paysage que nous parcourons. Qu’on se figure une chute d’eau tombant d’une hauteur de 180 pieds dans un abîme dont personne encore n’a pu connaître le fond ; des deux côtés, des rochers noirs, minés par le frottement continuel de la chute, se dressent perpendiculairement jusqu’à leur sommet où ils se courbent comme pour regarder le gouffre qui mugit à leurs pieds.

Rien n’émeut comme le spectacle de ces rocs froids et impassibles, éternels contemplateurs d’une des plus saisissantes merveilles de la nature ! et le spectateur qui regarde avec des yeux tremblants cette masse d’eau vertigineuse qui s’élance en se brisant dans son lit, est lui même suspendu au dessus du gouffre, sur un mince plancher construit à cet effet, et d’où il peut jouir en même temps, comme par un bienfaisant contraste, de tout le paysage qui l’entoure, de l’Île d’Orléans qui baigne ses tranquilles campagnes en face de la chute, et du port de Québec où tout retentit du bruit de l’activité humaine.

Mais je renonce à tracer plus longtemps le tableau d’une création pour ainsi dire infinie. Je sens le besoin de laisser tomber ma plume pour ne pas rapetisser jusqu’à mon admiration même, et m’enlever aux impressions profondes que j’éprouve. Quand on a vu toutes ces grandes choses, et qu’on a essayé de les décrire, l’esprit, comme fatigué d’un trop grand effort, demande à se recueillir dans une contemplation muette du Maître de l’univers, et dans le calme imposant de la nature dont il peut comprendre et louer les merveilles.

Dans ma prochaine lettre, je vous parlerai des choses qui font surtout l’objet de mon voyage, c’est-à-dire des mœurs et des habitudes de la population, de ses idées et de ses tendances sociales.