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en reçoit les émanations pénétrantes mêlées à la brise parfumée du soir. Tout le monde vient aspirer avec délices cette atmosphère pleine de mâles et vivifiantes caresses. Celui qui a travaillé tout le jour ou qui a calculé pour l’avenir, qui a médité, pensé de longues heures et pleuré peut-être, vient y livrer son front soucieux et chargé de regrets ; la nature, cette grande consolatrice, le calme, le réconforte et lui apporte de nouvelles espérances. Le jeune homme rêveur, qui a encore l’illusion, cette touchante bêtise du cœur où l’on puise une foi sans limite en ce qu’on aime, y vient chercher des inspirations et les secrets merveilleux qui le conduiront à l’âme dont la sienne est éprise. Les jeunes filles, essaim bruyant, peu songeur, volant d’amourettes en amourettes comme l’oiseau de branche en branche, sans se poser nulle part, et pour qui le « doux esclavage » est une métaphore imaginée à leur profit, les jeunes filles aussi y viennent en troupe nombreuse, en troupe redoutable, essayer de discrètes séductions sous le regard bienveillant de la lune et la complicité sereine des étoiles. Les grandes ombres de l’île St. Barnabé qui sommeille au large, celles des pointes, qui se projettent de chaque côté de la ville assoupie, et des collines qui étagent au loin leurs crêtes boisées, se rassemblent comme pour jeter une teinte mélancolique sur le ciel scintillant. On croit les voir s’approcher et vous envelopper, et cependant elles gardent, immobiles, leur forme indécise, vaguement flottante, comme les voiles étendues d’un grand navire qui attend les premiers souffles du vent.