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présents du Créateur. Il paraît que ce M. Rine a tellement bu jadis qu’il a réussi à être écœurré de la boisson et qu’il s’en venge sur le reste des humains. Ainsi, voilà un monsieur qui veut absolument me faire jeûner, moi, parce qu’il n’est pas capable de manger, lui, sans se donner des indigestions ! Et cela se prêche, et le « teetotalisme » devient une doctrine, et l’on voit de formidables croisades organisées sur tout le continent pour faire rentrer sous terre le seigle et la vigne. On en est envahi ; pas une ville n’y échappe, et ce n’est pas du teetotalisme seulement qu’on devient la proie, mais encore de toutes ses conséquences, qui semblent être l’abstinence sous toutes les formes, la privation volontaire ou forcée d’une foule de choses, surtout le dimanche. Oui, en effet, il ne peut y avoir que des abstinenciers pour faire du dimanche ce qu’il est dans la plupart des villes anglaises et américaines.

La défense de boire le dimanche n’est qu’un premier pas ; on dirait presque que ce n’est qu’un prétexte pour arriver plus sûrement à l’interdiction de tout le reste. En effet, dès qu’un homme fait le sacrifice d’une habitude ou d’un goût, pendant vingt heures de la semaine, il peut bien en faire d’autres. C’est ainsi que se développe cette succession vraiment merveilleuse de suppressions et d’interdictions qui, si elles continuent, feront du dimanche un jour abhorré et en rendront une nouvelle définition nécessaire ; on dira : « Le dimanche est un jour où l’homme est privé de tous ses droits. »