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Quoi de plus lamentable, de plus poignant que son logis, à cette heure avancée de la nuit où il se décide à y revenir, après avoir cherché en vain toutes les distractions qui peuvent lui faire oublier son éternelle solitude ! Mille fantômes l’attendent, qui assiègent le chevet de son lit, les fantômes inexorables de son passé, sourds comme le remords, et il se couche en entendant ces milliers de voix qui lui rappellent tout ce qu’il a perdu, tout ce qu’il a refusé de bonheurs doux, simples et consolants.

Voilà les compagnons de sa vie, et ces compagnons sont des spectres ! Il a connu tous les désenchantements, et peut-être lui reste-t-il encore un long chemin à parcourir. S’il regarde en arrière, il ne voit même plus la trace des fleurs maintenant flétries qui s’épanouirent un jour sous ses pas.

Il est seul. Oh ! Être seul, c’est être avec la mort. À vingt ans, à vingt-cinq ans, à trente ans même, on vit encore avec l’imagination qui aide à peupler l’avenir d’une foule de rêves enchanteurs, et qui montre des rivages dorés par le soleil là où il n’y a que sécheresse et désolation. Il est dans l’existence des âges bénis où l’on se console de tout parce qu’on a l’avenir devant soi, parce qu’on croit qu’il renferme tous les trésors dont le cœur et l’ambition sont avides.

Et maintenant est venu l’âge froid où chaque espoir se tourne en dérision, où chaque illusion prend la figure d’un démon railleur. Le temps est implacable, il détruit tout. Mais ce qui est plus horrible encore,