ceux qui le lisent, il n’y parvient qu’à son propre détriment, à la condition de s’amoindrir lui-même, sciemment, et de faire le sacrifice de ses plus hautes aspirations. Comment me présenterais-je avec une œuvre longtemps étudiée, longtemps méditée ? Je verrais sur cette œuvre s’entasser la poussière des librairies, et mon nom cité peut-être, mais l’œuvre restée inconnue et par suite stérile.
Qui donc oserait se plaindre de ce que j’écris en ce moment ? Le premier qui ait droit de se plaindre, n’est-ce pas plutôt l’écrivain obligé d’accepter des conditions existantes et fatales, l’écrivain qui sent en lui une force supérieure à ces conditions et qui pourrait faire la loi aux intelligences, comme il la fait dans tous les pays où les lettres sont une carrière et un apostolat de l’esprit, au lieu d’avoir à subir le préjugé et de s’incliner devant l’ignorance ?
D’où viennent chez nous tant d’œuvres frivoles dont les mieux cotées, les plus connues renferment à peine la substance d’une page, si on voulait l’en extraire ? En premier lieu, de ce que le résultat ne saurait répondre à la grandeur de l’effort tenté pour produire une œuvre sérieuse. En second lieu, de ce que l’écrivain se sent arrêté dès le début par l’impossibilité d’aborder hardiment le vaste domaine intellectuel et qu’il est tenu de se