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demain ! le lendemain… c’est le frisson, c’est le grelottement, c’est le fleuve caressé dans vos rêves qui arrive en mugissant avec des bouffées de brouillards, comme si une immense bouche de froid emplissait de son souffle toute la vallée du St. Laurent.

Et cela dure une semaine, deux semaines. Cette année, nous voici arrivés au douzième jour, et ça n’est pas encore fini. Remarquez que vous avez quitté la ville léger et court vêtu, que vous n’avez pu prévoir le mois d’octobre au mois d’août, que vous avez eu confiance dans le soleil, ce père de la nature, que vous n’avez mis en fait d’extras, dans votre bagage, qu’un caleçon de bain, ce qui est une garantie précaire contre le nord-est, que vous avez laissé flanelles, molletons, chaussettes de laine et camisoles dédaigneusement empilés dans les tiroirs, et que vous êtes là, maintenant, à deux pas de cette plage retentissante, enfermé misérablement dans une maison crue, mal bâtie, mal jointe, où le rhumatisme, compagnon inséparable du nord-est, vous attend comme une proie assurée.

Eh bien ! Le croiriez-vous ? Non, vous ne le croirez pas. Je vais le dire tout de même. Si parfois, au milieu des rages du vent qui pousse devant lui les brouillards, il se fait une petite accalmie, si le ciel, fatigué d’orages, se repose un instant et, qu’à travers le voile humide qui l’enveloppe, le soleil hasarde une pointe de rayon qui meurt à peine apparu : « Ah ! que le temps est pesant, » dira à côté de vous un canadien des campagnes ; « çà n’est pas drôle, allez, monsieur, qu’une sécheresse pareille ! Tout rôtit dans les champs ;